Quand un être aimé et chéri meurt, il emporte une partie de nous. C’est une plaie qui ne guérit pas. On s’y fait, simplement. Le tout est de trouver comment s’y faire. Comment réussit-on le deuil ? Si seulement on peut réussir le deuil. Comment se relève-t-on de cette phase dépressive qui empoigne et transforme l’endeuillé dans ces moments de tourment, cet épisode dans lequel le déni est insistant ? Ce sont ces équivoques que Mamadou Dia évoque dans le film « Demba ». Cette fiction dramatique de 114 minutes ose ces deux sujets embêtants, presque tabous sous nos tropiques : le deuil et la dépression.
Demba perd sa femme, et perd en même temps la raison. Sa santé mentale décline en même temps que son allure. Au bout de deux années, il continue de se cramponner dans le déni. Le spectre de sa femme ne quitte pas ses moindres pensées et réflexions. Son humeur est atteinte, son entourage est menacé de ses excès. Seulement, l’évidence n’est pas vite marquée pour lui-même, car Demba a un toit, un travail, de la famille, des amis. Mais il devient vite loqueteux malgré l’effort de la mise. Il est débraillé par la douleur et le deuil inaccompli deux années après le drame. Demba sombre en dépit de tous les éclats de son environnement qu’il ne suit qu’en apparence. C’est cela, la dépression.
Mamadou Dia, pour son deuxième long-métrage après « Baamum Nafi – Le Père de Nafi » (Prix du premier film au Festival international du film de Lucarno et Prix Découverte au Festival de Namur), invite à une thérapie. Le réalisateur met surtout en relief un personnage masculin, pour une épreuve qui est quasiment considérée comme exclusivement féminine. La dépression est plus attribuée aux femmes, et elle ne lui est acceptée que depuis bien peu d’ailleurs. Aux hommes, la société demande d’être fort et de ne pas flancher. Or, la douleur peut-être telle qu’elle ronge sa victime (de quelque sexe) au point de perturber sa santé mentale et d’en faire une menace pour l’équilibre de sa personnalité et de son entourage. C’est un état qui consume, ajouté souvent au sentiment de culpabilité. Le sentiment de n’avoir pas pu empêcher le drame pourtant inévitable.
Angoisses
Il y a aussi le silence, l’introversion. Cette bulle dans laquelle on se cache pour s’y perdre avec ses angoisses. Tout en essayant de paraître fort. « Je retiens tout et je sens que ça me tue de l’intérieur », dit Demba dans le film. Dans les sociétés africaines, ce silence qui s’approche de la dénégation est quelque part une négation de nos valeurs. Dans notre vie en communauté, le principe est de partager ses peines, alléger le fardeau. L’attention des parents et la consolation des proches peuvent être très salutaires. Également, le concours des spécialistes tel le psychologue est profitable, bien que ce ne soit pas toujours agréé par nos mœurs. Il y a dernièrement des cas de certaines célébrités sur les réseaux sociaux (Pape Cheikh Diallo, Halima Gadji, Nabou Dash, etc.), qui constituent les arbustes devant une immense forêt.
Justement, l’idée du film est née de la discussion entre le réalisateur Mamadou Dia et un thérapeute, aux États-Unis, durant la pandémie de Covid-19. L’échange a concerné le deuil, ainsi qu’une de ses phases qui est foncièrement similaire à la dépression. La similitude est telle que, pendant longtemps, les psychiatres américains ont suggéré de ne pas diagnostiquer la dépression durant cette phase pour l’endeuillé. « La question que ça m’a inspiré est comment traverse-t-on la dépression dans une société qui n’a même pas de mot pour elle. Il n’y a pas de mot pour la dépression en pulaar, ni en wolof. La réflexion a débuté ainsi », éclaire Mamadou Dia.
Sublimer la vie
L’intention du réalisateur a été de montrer ce qui se passe dans la tête de quelqu’un quand il est dans ces moments de dépression. Le film est découpé dans ce sens-là, avec des flashbacks qui deviennent des illusions. Il y a en scène culminante cette quenelle faite à la mort, ce pied de nez à l’ange de la mort à travers la symbolique du « taajaboon ». Pour sublimer la vie, la renaissance. On insulte la défaite, on la toise, on la défie et on s’en fiche, après qu’elle nous ait menés vers la dérive. L’art aussi y est proposé comme thérapie. Déjà, par la réalisation du film. Ensuite, avec la proposition de la musicothérapie qui devient une science en plein progrès en Occident. Le réalisateur la met en lumière ici à travers le tube « Yaay Boy » d’Africando avec Pape Seck Dagana et Médoune Diallo, ainsi que notamment le Pekâne. Cette mélopée propre aux pêcheurs halpulaaren. C’est une adresse aux émotions par les imaginaires, les identités, pour apaiser l’âme.
Mamadou Dia est resté fidèle à son esthétique et son identité. Tout comme « Baamum Nafi – Le Père de Nafi », la version originale est en pulaar et le lieu de tournage est encore Matam. La ville natale de Mamadou Dia, au-delà d’un simple cadre, est une aire artistique pour lui. Il y dégote ses personnages idéaux, qui se présentent toujours dans un tableau d’une authenticité remarquable. Avec le rythme et les imaginaires du terroir, sans artifices. Le réalisateur, cohérent dans sa démarche, opte pour une narration qui nous ressemble et nous interpelle. Le résultat arrive avec une direction de la photographie, un son et une lumière aboutis. « Demba » a pareillement ses couleurs d’activisme social et culturel, qui caresse une nostalgie envoûtante. Il y a la dénonciation des pratiques véreuses dans l’administration locale, la problématique de la dématérialisation, l’immoralité des politiciens, la publicité culturelle, et ce joli hommage à la photographie à travers des images qui rappellent Mama et Salla Casset, avec des touches d’Oumar Ly et Malick Sidibé. Un moment d’arts, « Demba ».
« L’un des rares films à m’avoir tenu en haleine du début à la fin, où le réalisateur te tient la main dès l’entame pour t’aider à te déporter seul, d’un point A à un point inconnu. Un film où tu rigoles tout en sachant que tu finiras par pleurer. Mais quand ? », a commenté Abdoulaye Saër Diop, l’entrepreneur et acteur culturel sur son compte Facebook, au sortir de la projection, vendredi 6 décembre, au cinéma Pathé Dakar.