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Africapitales : Paris aux couleurs du vaudou de Cotonou

Le samedi 9 mars, au Centre FGO-Barbara, à Paris, le festival pluridisciplinaire Africapitales, consacré cette année à Cotonou, recevait pour sa soirée musicale Folly Romain et BIM. Deux concerts, où les rythmes et la philosophie vaudou étaient mis à l’honneur. 

Parlez d’aiguilles plantées dans des poupées, de mauvais sorts ou de tout autre cliché associé à la pratique vaudou, et vous aurez le don d’agacer le chanteur, percussionniste et danseur béninois Folly Romain. Les yeux du garçon de 27 ans, d’une douceur incomparable, se teintent alors d’indignation : « Cet imaginaire de sorcellerie, de magie noire, fut inventé par les colons pour détruire notre spiritualité, nos croyances, nos valeurs… » s’insurge-t-il calmement de sa voix haut-perchée.

Son aîné, Jimmy Belah, 41 ans, leader et chanteur du groupe Benin International Music, renchérit : « J’en veux à Hollywood d’avoir véhiculé ces stéréotypes, qui n’ont rien à faire avec les fondamentaux du vaudou. Cette pratique se connecte à la nature  eau, air, feu, terre —, au respect de soi-même, à celui des ancêtres. Le vaudou, au Bénin, c’est notre médecine… Aucun rapport avec ces histoires de poupées ! »

Tous deux évoquent, au contraire, un instrument pour traverser l’existence en paix, une philosophie positive… Et c’est bien cette philosophie positive, cette spiritualité joyeuse qui transparaissait, ce samedi 9 mars au centre FGO-Barbara, lors de la soirée musicale du festival pluridisciplinaire Africapitales (8-31 mars, exposition, cinéma, défilé de mode, musique, etc.), consacré cette année à Cotonou.

Folly Romain : samplers et tendres mélodies

Couleurs « vaudou », les deux concerts de l’événement s’inscrivaient aux antipodes : l’un en solo, intimiste, impressionniste, tendre et pudique ; l’autre en bande, explosif et solaire. Il revenait ainsi à Folly Romain d’ouvrir le bal, seul avec ses samplers. Fils d’un prêtre vaudou, d’une mère danseuse, chanteuse et adepte du vaudou, issu d’une famille de pêcheurs, le jeune homme grandit au quotidien dans le sacré et la musique, au gré des cérémonies. À 12 ans, il compose ses premières chansons, pour exorciser les insultes, les humiliations essuyées par ses parents, « très, très pauvres », assume-t-il les yeux écarquillés par la sincérité et les cruels souvenirs.

Au fil du temps, il fonde ou intègre des groupes successifs, jusqu’à trouver sa voie à Brest, où il officie comme danseur. « Au début, raconte-t-il, je me cherchais, je jouais des percussions, je m’entourais de nombreux musiciens. Mais je percevais un attrait particulier pour mon chant. Un jour, j’ai rencontré cet outil, le looper, qui allait enfin me permettre de créer tout un univers autour de ma voix. »

Et le voici, seul avec ses machines, fragile et fort, en clair-obscur, à chanter sa vie, en fon, la langue du Bénin, ou en mina, la langue du Togo, de sa voix éthérée, ténue et profonde, toute habitée d’esprits. Le voici à délivrer ses tendres mélodies et sa délicatesse, soutenues par des tapis polyrythmiques. Et, bien sûr, le vaudou, sa croyance, ne se situe jamais bien loin : « J’en parle de manière émotionnelle, sensible, dit-il. Ma spiritualité irrigue mes compositions. Et parfois, sur scène, je sens que je décolle, que je ne m’appartiens plus, que des esprits me traversent. ». Et le public de voyager avec lui sur ses magies, dans ses contrées tout en vaudouceur.

BIM, la grande explosion

BIM ! En contrepoint, le deuxième round donne le ton dès leur arrivée sur le ring. Composé de six membres — un batteur-chanteur, un guitariste, un bassiste, deux chanteuses rappeuses, un percussionniste —, le Benin International Music envoie du lourd et des décibels par sa mixture électrisante de rythmes vaudou mêlés au rock, au blues, au rap.

À l’origine, l’idée vient de l’homme de radio Hervé Riesen et du producteur et musicien nantais Jérôme Ettinger, connu pour son groupe Egyptian Project, mix de musique égyptienne traditionnelle et d’électro. Ce dernier raconte : « Nous avions cette envie de travailler autour de ces rythmes vaudou, fondateurs des musiques noires américaines  blues, rock, etc. Il ne faut pas oublier que Ouidah fut l’un des ports les plus importants de la traite négrière. Voici aussi pourquoi l’influence vaudou se retrouve au Brésil, à Cuba, en Haïti… »
En 2019, Jérôme se rend donc à Cotonou pour organiser un casting, afin de sélectionner des musiciens talentueux susceptibles de rejoindre son projet. Parmi eux, le charismatique Jimmy Belah fut une évidence : maître batteur, maître chanteur… Au début, pourtant, le chemin commun fut ardu à trouver, comme le raconte le musicien béninois : « Jérôme nous amenait ses beats composés sur son ordinateur. On ne comprenait rien, on n’était pas d’accord, rien ne collait. »

Le Nantais remise finalement sa machine pour se concentrer sur la direction artistique, cap sur le rock, le blues, le hip hop. « Là, j’adore ! », s’exclame Jimmy.

Une formule ultra-efficace, donc, qui a conquis jusqu’à aujourd’hui les festivals d’Essaouira, le Sziget, le Paléo, et même la salle prestigieuse du Carnegie Hall, à New York, sous le haut patronage de leur compatriote Angélique Kidjo.

Ce soir, au centre FGO-Barbara, leur mixture se révèle une fois encore décapante, avec la base polyrythmique vaudou ensorceleuse, déroulée en toute décontraction par le sorcier des baguettes Émile Totin, fils de prêtre vaudou, le flow des deux chanteuses, les guitares acérées, la basse impeccable… Et bien sûr, la batterie rock millimétrée de Jimmy, son chant tour à tour de griffes et de velours.

Au fil d’un set généreux, défilent des tubes en puissance… De quoi galvaniser un public en majorité béninois, déjà conquis, qui reprend en chœur leurs titres phares, et se laisse enivrer par une douce transe, comme lorsque le groupe entonne l’hymne national revisité ou, en clôture, un envoûtant chant de louange.

Dans cette hybridation convaincante, l’âme vaudou se cache là, quelque part, pas toujours évidente à dénicher. Restent pourtant sa forme culturelle et quelques rituels essentiels, comme le raconte Jimmy : « Avant de jouer le moindre rythme sacré, on consulte toujours le fâ (un art divinatoire pratiqué dans le golfe du Bénin, ndlr), pour voir si les esprits nous accordent la permission. Car il ne faut pas l’oublier : c’est sur l’ancienne corde qu’on tisse la nouvelle. » Et BIM !

Page Facebook d’Africapitale

Par : Anne-Laure Lemancel

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